Le plan
Simoun ou la mobilisation anticipée des conscrits européens
d’Algérie en juin 1962
The Simoun plan or early mobilization of European conscripts of Algeria
in June 1962
Soraya Laribi
p. 98-107
Résumé | Index | Plan | Texte | Notes | Citation | Auteur
Résumé
FrançaisEnglish. Le plan Simoun est le nom de code militaire d’une
opération destinée à transférer les jeunes
européens d’Alger et d’Oran en métropole et en
Allemagne afin qu’ils y effectuent leur service militaire. Il s’inscrit
dans la même logique que les trois fractions du contingent précédent,
dites 1962/1 A, 1962/1 B et 1962/1 C, respectivement mobilisées
les 1er janvier, 1er mars et 1er mai 1962 et envoyées, elles aussi,
en métropole. Cependant, il s’en distingue par l’appel
anticipé. En effet, les jeunes FSE (Français de souche européenne)
d’Alger et d’Oran ont été mobilisés en
juin, un mois avant l’appel de la fraction du second contingent,
dite 1962/2 A, dont l’incorporation était normalement prévue
pour le 1er juillet selon le décret, n° 61-1291 du 29 novembre
1961. Mais aussi, par le recrutement à l’âge de 19 ans,
en raison de l’alignement des âges d’incorporation sur
ceux de la métropole et par la résiliation de nombreux sursis.
Ces mesures extraordinaires sont imposées, le 17 mai 1962, par
l’ordonnance n° 62-574 du ministre des Armées Pierre Messmer.
The Simoun plan or early mobilization of European conscripts
of Algeria in June 1962
The plan Simoun is the military code name for an operation to transfer
young Europeans of Algiers and Oran to the mainland France and to Germany
so they could do their military service. It is part of the same thinking
as the three fractions of the preceding contingent, say 1962/1 A, 1962/1
B and 1962/1 C, mobilized respectively on 1 January, 1 March and 1 May
1962 and sent, also, to the mainland France. In effect, the young FSE
(French of European roots) of Algiers and Oran were mobilized in June,
a month before the call-up of a fraction of the second contingent, known
as 1962/2 A, whose incorporation was normally scheduled for July 1, according
to the decree No. 61-1291 of 29 November 1961. But also, by the recruitment
age of 19, due to the alignment of the ages of induction for those in
the mainland France and the cancellation of many extensions. These extraordinary
measures were imposed, May 17, 1962, by Ordinance No. 62-574 of the Minister
of the Armies Pierre Messmer.
Entrées d'index
Mots-clés :conscription, guerre d’Algérie, OAS
Plan
Le plan Simoun, une incorporation stratégique
La jeunesse française de souche européenne d’Algérie,
objet d’une mobilisation anticipée
Alger et Oran, bastions de l’OAS, cibles du plan Simoun
Le plan Simoun en accusation
Une incorporation délicate
Des appelés anticipés à amadouer
Un accueil rigoureusement préparé
Un transfert outre-mer hâtif
Une incorporation autoritaire
Une incorporation anticipée fructueuse
Une mobilisation obligatoire
Un symbole du non-retour ?
Texte intégral
Signaler ce document1 Libération, 12-13 mai 1962, p. 3.
1. « Rien de grand, rien d’important ne peut être
fait si l’ordre public n’est pas maintenu », affirme
le haut-commissaire de la République en Algérie Christian
Fouchet dont l’objectif est de maintenir les accords d’Évian
1. De fait, le 19 mars 1962, le cessez-le-feu est proclamé à
midi en Algérie. Les négociations politiques avec le Front
de libération nationale (FLN) ont abouti. Il convient, dès
lors, de favoriser leur application vivement rejetée par l’Organisation
armée secrète (OAS) qui intensifie ses attentats. C’est
la problématique majeure de la période de transition qui
s’étend du cessez-le-feu au 1er juillet, date du référendum
sur l’autodétermination prévu en Algérie. Christian
Fouchet décide de lutter contre l’OAS avec une nouvelle stratégie
: fragiliser de l’intérieur l’organisation, en visant
directement ses adhérents. Trois groupes distincts de la population
française de souche européenned’Algérie sont
visés par sa politique impulsée, à partir de la cité
administrative de Rocher noir, en accord avec l’Exécutif provisoire
dirigé par Abderrahmane Farès. C’est dans cette dynamique
que s’inscrit le plan Simoun, une mobilisation anticipée des
conscrits européens d’Alger et d’Oran, âgés
de 19 ans.
Le plan Simoun, une incorporation
stratégique
La jeunesse française de souche européenne
d’Algérie, objet d’une mobilisation anticipée
2. Le 3 mai
1962, une inspection surprise de Christian Fouchet, en compagnie du commandant
supérieur des forces armées d’Algérie, le général
Michel Fourquet, à Oran, a pour résultat l’émission
de six mesures de réaffirmation de l’autorité. Adoptées
le 11 mai, elles sont énoncées le 13 mai, jour du quatrième
anniversaire de la prise de pouvoir de 1958. À travers une enquête
intitulée : « Les trois visages de l’OAS en Algérie
» 2, l’envoyé spécial du journal Le Monde, Alain
Jacob, signale que les états-majors, responsables et dirigeants
de l’OAS ne sont pas directement visés par cette « opération
Fouchet ». En effet, en inaugurant ce processus, les autorités
décident désormais d’annihiler l’organisation,
en personnalisant son action, en la canalisant au sein des structures
de la société européenne, soupçonnées
d’adhérer à l’OAS : les notables, la police et
la jeunesse 3.
2 Le Monde, 24 mai 1962, p. 5.
3 Nous reprenons la thèse du journaliste Jean-Claude Vajou, Combat,
12-13 mai 1962, p. 1.
4 Les quatre autres mesures de l’« opération Fouchet
»annoncent, notamment, la présence de gendarmes(...)
3. Le gouvernement
a la volonté de réduire l’OAS par des moyens français.
La situation est tendue car l’échec de l’«opération
Fouchet» remettrait en question l’Exécutif provisoire
et inciterait le FLN à demander la présence de forces militaires
neutres, telles que celles de l’ONU, provoquant l’exaspération
de la minorité européenne et son intégration dans
les rangs de l’OAS. L’attention de Christian Fouchet se concentre,
donc, sur la jeunesse. De fait, parmi les six mesures de fermeté,
figurent : la dissolution de l’Association générale
des étudiants algériens(AGEA) et l’appel sous les drapeaux
des jeunes Français de souche européenne (FSE) de 19 ans
4.
5 Ce décret concerne la composition, les dates
d’appel et les obligations d’activité des premier et(...)
6 Verdès-Leroux (J.), Les Français d’Algérie
de 1830 à aujourd’hui. Une page d’histoire déchirée,
Pa(...)
4.Les archives
militaires attestent que l’incorporation des FSE en métropole
a déjà été accordée par le ministre
des Armées, Pierre Messmer, le 4 décembre 1961. Dans cette
logique, les fractions du premier contingent 1962/1 A, 1962/1 B et 1962/1
C ont été respectivement mobilisées le 1er janvier,
le 1er mars et le 1er mai 1962, selon le deuxième article du décret
no 61-1291 du 29 novembre 1961 5, et envoyées en métropole,
les éloignant de l’activisme de l’OAS. Fort de cet exemple
fructueux, Christian Fouchet compte poursuivre cette mesure par un appel
anticipé des jeunes FSE d’Algérie, en juin. C’est
une mesure exceptionnelle car, selon ce même décret, la fraction
du prochain contingent, dite 1962/2 A, doit être normalement mobilisée
en juillet. D’où l’idée « d’appel anticipé
». Christian Fouchet demande donc l’émission d’une
ordonnance. Cette dernière doit lui permettre d’incorporer,
en juin, les jeunes FSE, âgés au minimum de 19 ans, qui n’auraient
pas effectué leur service militaire, y compris ceux qui bénéficient
d’un sursis pour terminer leurs études. En réalité,
l’intérêt du haut-commissaire pour cette catégorie
provient d’un constat : la forte proportion de jeunes FSE adhérant
à l’OAS. Prenant pour exemple l’arrestation le 9 mai,
de quatre étudiants âgés de 20 à 23 ans, auteurs
d’un attentat à Alger, il dénonce la criminalité
juvénile. Certes, la jeunesse représente une fraction importante
de l’OAS. Elle est employée pour la distribution de tracts,
le transport d’armes. À plus forte mesure, elle s’adonne
à des attentats ou à un terrorisme raciste envers les musulmans
: les ratonnades 6.
7 Monneret (J.), La phase finale de la guerre d’Algérie,
Paris, L’Harmattan, p. 19.
8 Ibid., p. 118.
5. Cependant,
le constat de Christian Fouchet doit être nuancé. Un revirement
d’opinion s’opère dès le mois de février
1962. Une partie de la population FSE a désavoué l’OAS
à la suite de l’attentat à l’encontre du ministre
de la Culture André Malraux, le 7 février. De surcroît,
l’incarcération des principaux responsables de l’organisation,
revers fracassant, annihile l’espoir de conserver l’Algérie
française. Enfin, depuis le référendum du 8 avril,
qui approuve à 90,7 % la politique algérienne du général
de Gaulle, l’OAS s’adonne à une« stratégie
de la tension » 7, avec la volonté de provoquer des attentats
urbains auxquels les FSE sont directement exposés. En ce printemps
1962, les jeunes FSE sont donc autant les cibles de l’OAS que celles
du FLN. En effet, répondant à l’activisme OAS, le FLN
effectue des enlèvements d’Européens. À Alger,
les enlèvements sont passés de 44 en avril à 276
en mai 8. La protection des FSE est donc, une motivation qui explique
en grande partie leur envoi outre-mer, loin des deux derniers bastions
de l’OAS : Alger et Oran.
Alger et Oran, bastions de l’OAS,
cibles du plan Simoun
6.La mobilisation
anticipée s’adresse aux jeunes FSE résidant à
Alger et à Oran, car l’emprise de l’OAS y est importante.
Les activistes optent, alors, pour la stratégie de « la terre
brûlée », dernière tentative d’action directe,
dès le mois de mai. Ainsi, à Oran, le général
Paul Gardy, dirigeant de l’OAS depuis l’arrestation d’Edmond
Jouhaud, compte créer « un réduit oranais »,
dans lequel tous les Européens se regrouperaient. Il prône
la partition de la ville et harcèle, à cette fin, autant
le FLN que les forces de l’ordre françaises 9.
9 Duranton-Cabrol (A. M.), Le Temps de l’OAS, Bruxelles,
Éditions Complexe, p. 216.
7. Tandis
qu’à Alger, un attentat à l’encontre de dockers
musulmans venus à l’embauche, le 2 mai, est un tournant dans
l’action du FLN. Au cours d’une réunion, il affirme que
« les moyens décisifs » devront être employés
contre l’OAS. Le commandant Azzedine, chef de la wilaya 4, se résout
à riposter ouvertement. Le 14 mai, ses feddayins mitraillent simultanément
37 cafés ou restaurants « fréquentés par les
tueurs de l’OAS et leurs sympathisants ». Le lendemain, l’OAS
tue en représailles 64 musulmans. Le commandant Azzedine revendique
publiquement ses actes et menace de les renouveler si Christian Fouchet
et l’Exécutif provisoire n’appliquent pas les mesures
pour le respect du cessez-le-feu à Alger. Trois jours plus tard,
l’appel anticipé est ordonné.
10 La Dépêche d’Algérie, 17 mai
1962, p. 1.
11 Journal officiel de la République française, 18 mai 1962,
p. 4869-4870.
8Une ordonnance
est donc émise le 17 mai 10. Elle valide l’incorporation anticipée
des jeunes âgés de 19 ans et des sursitaires, en métropole
et en Allemagne 11. Le premier article stipule que l’appel concerne
les « Algériens recensés en Algérie ».
Cette affirmation est une source d’ambiguïté car elle
implique autant la mobilisation des FSE que des Français de souche
nord-africaine (FSNA). De même, aucune ville en particulier n’est
citée, ce qui laisse le choix à la discrétion du
haut-commissaire, tel que le mentionne le deuxième article de l’ordonnance.
Pourtant, paradoxalement, dans l’article du journal Libération
du 12 mai, les villes d’Alger et d’Oran sont les cibles, clairement
mentionnées, de la mobilisation anticipée. L’ordonnance
est donc peu claire et génère une certaine ambiguïté
qui annonce des malentendus au sein de la population FSE.
12 Témoignage de monsieur René Mancho. Ceci
est un extrait de son blog : http://oran1954.over-blog.co(...)
13 Témoignage de monsieur Bernard Venis. Ceci est un extrait de
son blog : www.alger-roi.net
9.Cette mobilisation
anticipée prend le nom de code militaire « Simoun ».
Ce terme qualifie un vent chaud et violent du désert d’Arabie,
soufflant sur les côtes orientales de la Méditerranée.
Cette appellation laisse songeurs les appelés anticipés
auxquels nous avons demandé la raison de ce choix : « Le
simoun est un vent chaud du désert alors pourquoi cette appellation
(…). Peut-être étions-nous des grains de sable que lâche
ce vent, mais pour moi le vent chaud s’est transformé en bise
hivernale » 12, énonce un témoin, envoyé en
Savoie. Tandis qu’un autre témoin incorporé à
Vannes affirme : « C’est un vent chaud qui noie et balaie tout
sur son passage. Est-ce que nous avons été balayés,
chassés ? » 13
10.
Le plan Simoun se subdivise donc en deux afin d’encadrer au mieux
la jeunesse européenne des deux villes. D’une part, le plan
Simoun I s’adresse à la jeunesse d’Alger. D’autre
part, le plan Simoun II vise la jeunesse d’Oran. Cependant, la résiliation
des sursis ainsi que l’anticipation du service militaire, imposées
par l’ordonnance, suscitent des critiques.
Le plan Simoun en accusation
11.En effet,
l’Union nationale des étudiants de France(UNEF) s’élève
aussitôt contre l’incorporation anticipée. De fait,
les jeunes gens incorporés ne pourront pas se présenter
aux examens 14. En outre, dans une émission pirate, le 22 mai,
l’OAS conteste l’appel sous les drapeaux des jeunes FSE. Elle
ordonne à la population de les cacher et aux fonctionnaires de
saboter le plan 15. Dans l’émission du 2 juin, elle compare
le plan Simoun au service du travail obligatoire (STO) et assimile Christian
Fouchet au Gauleiter Fritz Sauckel 16. Certes, le STO était effectué
en Allemagne à titre de substitut du service militaire et des sursis
furent supprimés. Néanmoins, le rapprochement, voire l’amalgame,
entre ces deux concepts est injustifié car l’appel anticipé
était également destiné à protéger
ces jeunes.
14 Le Monde, 27-28 mai 1962, p. 3.
15 SHD/GR, 1 H 1736, dossier 2, émission pirate de l’OAS,
diffusée entre 19h40 et 19h58, le 22 mai 1(...)
16 SHD/GR, 1 H 1736, dossier 2, émission pirate de l’OAS,
diffusée entre 19h56 et 20h15, le 2 juin 19(...)
17 Journal officiel de la République française, 3 juillet
1962, p. 2179.
18 Le Monde, 6 juin 1962, p. 2.
12. Enfin,
à la veille du plan Simoun, un député de Batna dénonce
également cette cinquième mesure de l’« opération
Fouchet ». Le général Dominique Marie Renucci, choisit
d’effectuer le rapport d’un télégramme d’un
électeur, le 5 juin 17. Il affirme que cet appel anticipé
va à l’encontre de l’article 3 du chapitre IX des accords
d’Évian sur la protection des droits et des libertés
des citoyens algériens de statut civil ou de droit commun qui signale
que : « (…) les Algériens de statut civil de droit commun
seront, pendant cinq ans, dispensés de service militaire ».
Il insiste également sur les répercussions psychologiques
que pourraient avoir l’envoi des appelés outre-mer 18. Cependant,
le plan Simoun commence deux jours plus tard, le 7 juin.
Une incorporation délicate
Des appelés anticipés à amadouer
13. L’ordonnance
a été dûment méditée et a été
l’objet d’une étroite correspondance entre Christian
Fouchet et le général Michel Fourquet. L’objectif était
d’éviter des désertions et d’incorporer un grand
nombre de jeunes FSE, d’Alger et d’Oran. À cette fin,
le général Michel Fourquet a proposé à Christian
Fouchet d’aligner les âges d’incorporation d’Algérie
sur ceux de la métropole 19. C’est pourquoi, l’idée
d’une mobilisation à l’âge de 19 ans a provoqué
autant de remous. De fait, il existe un décalage entre les classes
creuses en France, liées à une fécondité en
chute et les classes trop importantes en Algérie, en vertu de la
mobilisation des FSNA. Ils sont, donc, mobilisés à 20 ans
en métropole, tandis qu’en Algérie, ils sont incorporés
à l’âge de 21 ans.
19 SHD/GR, 1 H 1385, 10 mai 1962.
14. L’ordonnance
impose également la résiliation des sursis. En effet, c’est
le général Michel Fourquet qui a proposé cette seconde
mesure, complétant l’alignement des âges d’incorporation.
Néanmoins, afin de ne pas provoquer le mécontentement des
jeunes FSE, il prévoit, non seulement, de supprimer les sursis
de tous les partisans de l’OAS arrêtés ; mais aussi,
de multiplier les contrôles de la police, dans les villes d’Oran
et d’Alger, d’en garder à chaque fois une fraction et
de les interner administrativement. Ceux qui se révèleraient
être en sursis seraient mobilisés. Enfin, outre les résiliations
de sursis, le général Michel Fourquet annonce que les sursitaires,
qui renonceront à leur sursis avant le 15 septembre ou dont le
sursis arrivera à expiration avant le 1er novembre ainsi que ceux
dont le sursis n’aura pas été renouvelé au titre
de l’année scolaire 1962-1963, seront incorporés. En
somme, l’effectif susceptible d’être appelé et
de 19 500 jeunes, comprenant 11 000 FSE, jusqu’à l’âge
de 18 ans et cinq mois, 7 000 FSE sursitaires et 1 500 FSE en report d’incorporation.
20 SHD/GR, 1 H 1385, 26 mai 1962.
15. En réalité,
entre le 10 mai, date de rédaction de la note de service du général
Michel Fourquet à Christian Fouchet et l’émission de
l’ordonnance du 17 mai, le nombre a été réduit.
In fine, 6 000 FSE, toutes catégories comprises, habitant Alger
et Oran, sont visés. Par ailleurs, bien que l’incorporation
s’adresse à tous les jeunes âgés de 19 ans résidant
au sein des villes d’Alger et d’Oran, on constate des exceptions.
Dès la parution de l’ordonnance, certains jeunes aux cas particuliers
se sont présentés spontanément aux centres d’instruction
demandant le maintien de leurs sursis ou le report d’incorporation.
Le général Michel Fourquet s’engage à étudier
lui-même chacun des cas sans déléguer le pouvoir de
décision 20. Cette initiative reflète donc, de nouveau,
le désir de ne pas susciter de mécontentement, voire la
rébellion des jeunes FSE. C’est pourquoi, les conditions matérielles
destinées à améliorer le moral des jeunes FSE, empreints
d’amertume par la résiliation des sursis et l’appel anticipé,
doivent aussi être valorisées.
Un accueil rigoureusement préparé
16. Les recrues
doivent être correctement accueillies. Cette idée est constante
au sein des archives concernant le plan Simoun 21. C’est pourquoi,
les autorités militaires se fondent sur les comptes rendus des
précédentes incorporations outre-mer.Le général
Michel Fourquet cible le personnel et les cadres chargés du plan
Simoun. Il signale que les généraux commandant les régions
territoriales et les corps d’armée d’Alger et d’Oran
doivent mettre chacun sur pied un centre de rassemblement chargé
de l’accueil des recrues, puis de leur mise en condition et de leur
embarquement. Le personnel, responsable de l’accueil des recrues,
doit être composé pour chaque ville, d’un officier supérieur,
chef de centre, secondé par deux adjoints chargés des questions
administratives. À ceux-ci doivent s’ajouter, un secrétariat
étoffé comprenant des secrétaires et des dactylos,
ainsi qu’une équipe médicale composée de plusieurs
médecins et infirmières. De même qu’une antenne
de recrutement, composée d’un officier et de plusieurs sous-officiers
et secrétaires.
21 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962.
22 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962.
17.Chargés
d’accompagner les jeunes incorporés en métropole et
de porter les pièces matricules, les documents concernant leur
transport, les cadres de conduite sont définis de la manière
suivante par le général Michel Fourquet : un officier d’active
dirigera 200 recrues. En outre, un sous-lieutenant s’occupera de
50 recrues. Enfin, un sous-officier sera à la tête de 20
recrues. Ces derniers doivent se présenter la veille du jour de
leur prise de service à huit heures. Sous la conduite du service
général de centre, ils devront consacrer la journée
aux reconnaissances nécessaires à l’exécution
des services de réception et d’accueil qui seront assurés
le lendemain. Ainsi, la préparation rigoureuse du plan Simoun reflète
de nouveau la volonté des autorités militaires de réussir
l’accueil et l’envoi outre-mer des jeunes FSE 22.
23 SHD/GR, 1 H 1385, 2 juin 1962.
24 Pieds-noirs magazine, n° 21, décembre 1991, Pons (Cagnes),
p. 32.
25 SHD/GR, 1 H 1385, 1er juin 1962.
26 SHD/GR, 1 H 1385, 30 mai 1962.
18. Le plan
Simoun doit se dérouler du 7 juin jusqu’au 16 juin inclus
pour la ville d’Alger et du 7 juin au 13 juin inclus pour la ville
d’Oran 23. Dès le 1er juin, les généraux commandant
les régions territoriales d’Alger et d’Oran ont déterminé
les centres de rassemblement, destinés à accueillir les
jeunes recrues, au sein de leurs villes respectives. En effet, objets
du plan Simoun I, les jeunes FSE d’Alger vont être accueillis
au camp du Lido et embarquer à l’aérodrome militaire
de Maison Blanche 24, leur transport étant effectué par
voie aérienne. Leur débarquement est prévu dans les
aérodromes militaires du Bourget et de Strasbourg. Tandis que les
recrues d’Oran, cibles du plan Simoun II, devront se présenter
au centre de rassemblement d’Eckmühl. Elles sont destinées
à embarquer à l’aérodrome militaire de la Sénia
et à débarquer à Istres 25. Les FSE nés entre
le 1er avril 1942 et le 30 avril 1943 domiciliés et résidant
dans les communes d’Alger et d’Oran et les sursitaires nés
entre le 1er mai 1935 et le 30 avril 1943 résidant dans les mêmes
communes, soit environ 6 000 jeunes, sont convoqués 26.
27 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962.
28 Le Monde, 23 mai 1962, p. 7.
19.Les recrues
sont mobilisées par ordre d’appel individuel établi
et posté par le service du recrutement. Simultanément, un
communiqué indiquant pour chaque tranche d’appel les lieux
et les dates de convocation est diffusé par voie de presse et de
radio le premier jour de l’appel, et répété
pour chaque tranche, la veille du jour de convocation 27. Cependant, les
bureaux de recrutement militaire des deux villes connaissent des difficultés
d’ordre technique pour envoyer les convocations à chacun des
jeunes FSE appelés sous les drapeaux. Les autorités n’hésitent
pas à utiliser la télévision, ce qui étonne
l’envoyé spécial du journal Le Monde, Alain Jacob :«
Ce mode d’appel insolite a été décidé
par l’autorité militaire en raison des perturbations que connaît
actuellement le service des postes dans les deux villes et sans doute
parce que les gendarmes ont d’autres tâches à remplir.
» 28 Le communiqué est diffusé sur France V. Ces initiatives
démontrent encore le vœu des autorités françaises
d’incorporer le maximum de jeunes FSE et d’éviter leur
adhésion à l’OAS en les éloignant de l’Algérie.
Un transfert outre-mer hâtif
20.Rigoureusement
préparé, le plan Simoun est en outre opéré
promptement, car la situation dans les deux villes est tendue et le départ
est difficile, tel que le signale un témoin : « Mes parents
m’accompagnent : ce sont nos dernières paroles, nos derniers
sourires, nos dernières embrassades sur ce sol d’Algérie.
C’est la première fois que je quitte ma famille sans savoir
si on se reverra. Je pars, eux restent encore… et l’inéluctable
fait sentir sa présence. Je souris mais le cœur n’y est
pas. Je laisse vingt ans de ma vie sur le sol, tous les membres de ma
famille, mon quartier, une réelle douceur de vivre, que je n’ai
plus retrouvée à l’identique, tous mes repères.
À l’époque pas de cellule d’accompagnement ! »
29
29 Témoignage de monsieur Bernard Venis, op.cit.
30 SHD/GR, 1 H 1385, 27 juin 1962.
31 SHD/GR, 1 H 2709, 19 juin 1962.
21. Aux centres
de rassemblement, du Lido et d’Eckmühl, où les recrues
d’Alger et d’Oran, sont respectivement attendues, les formalités
sont, en effet, expédiées et ce constamment dans la double
logique d’évacuer rapidement les jeunes Européens et
d’éviter leur insatisfaction. L’organisation des centres
comporte un service de réception et d’accueil fonctionnant,
d’une part à la gare routière, d’autre part aux
centres d’instruction des deux villes, ainsi qu’une chaîne
de mise en condition destinée à préparer les jeunes
FSE à embarquer. Cette dernière comprend une antenne de
recrutement, un service général et une antenne médicale
30. Ainsi, dès leur arrivée les recrues se rassemblent pour
écouter l’allocution du chef de centre 31, leur présentant
les différentes étapes de l’incorporation et leur recommandant
une parfaite tenue.
32 SHD/GR, 1 H 2709, 19 juin 1962.
33 Ibid., 27 juin 1962.
22.Par groupe
de 20 recrues en tenue civile, ils sont pris en charge par les cadres
désignés pour les accompagner jusqu’au lieu de destination.
Les jeunes recrues passent successivement devant un service de fouille,
puis devant l’antenne de recrutement et, enfin, au secrétariat.
Ce dernier est organisé en deux ateliers, un par destination, Strasbourg
et Le Bourget d’une part, Istres d’autre part. Il procède
immédiatement à l’enregistrement des renseignements
sommaires concernant chaque recrue et à des listes nominatives
destinées aux cadres 32. Ensuite, les jeunes FSE passent une visite
médicale. Les inaptes médicaux sont renvoyés chez
eux, après avoir été pointés, avec une attestation
régulant provisoirement leur situation. Durant leur séjour
dans les centres, les recrues déjeunent sur place. Ils assistent
à une présentation de matériels blindés ainsi
qu’à une séance de cinéma récréatif
avant leur départ 33.
23.Pendant
les quatre premiers jours, les moyens de transport aériens présents
ont permis d’embarquer environ deux tiers des incorporés.
À partir du 11 juin, grâce à une augmentation des
moyens de transports et au report dans l’après-midi des horaires
de départ, la totalité des recrues a été dirigée
en métropole, le jour même. Un témoin, a embarqué
dans un DC-6, un quadrimoteur de la Swissair et un autre a embarqué
sur un porte-avions léger, le Lafayette. De nouveau, la diversité
des moyens de transports employés par les autorités militaires
pour faciliter le départ des jeunes FSE révèle la
volonté de les éloigner au plus vite.
34 SHD/GR, 1 H 1385, 30 mai 1962.
35 Témoignage de monsieur Gilbert-Ange Caramante extrait du site
suivant : www.cerclealgerianiste.ass(...)
24.L’arrivée
des jeunes FSE en métropole s’articule autour de trois temps
forts 34. Le premier temps est l’incorporation. L’affectation
des recrues est prononcée à leur arrivée en métropole.
Chaque jour, les FSE sont ainsi répartis : 80 % au sein de l’armée
de Terre, 15 % à l’armée de l’Air, et 5 % dans
la Marine nationale. Ainsi, un témoin, breveté parachutiste,
a été affecté au 7e bataillon de chasseurs alpins
à Bourg-Saint-Maurice en Savoie. Situé à 50 kilomètres
d’Albertville, ce bataillon fait partie de la 27e brigade d’infanterie
de montagne : « Alors l’hiver 1962-1963, pour quelqu’un
qui n’avait pratiquement jamais vu la neige et des températures
très froides, cela forge le moral. » Un autre témoin
a, pour sa part, été incorporé au 10e régiment
d’artillerie anti-aérien, dans la ville de Vannes. Enfin,
un témoin a été envoyé à Lure au 54e
régiment d’artillerie 35.
25.
Dès leur arrivée, les recrues sont immédiatement
rattachées à la fraction du contingent 1962/2 A incorporée
dès le 1er juillet. Ils passent ensuite une visite médicale,
normalement prévue, à toute incorporation. C’est pour
eux, la seconde visite, la première ayant eu lieu en Algérie.
Le second temps est celui de la sélection. Un « tri »
est effectué dans l’objectif de faciliter le troisième
temps, qui est celui de l’instruction. Ces derniers reçoivent
la formation élémentaire du combattant en même temps
que la fraction du contingent 1962/2 A. Dès l’incorporation
de cette fraction, les recrues originaires d’Algérie sont
associées à celles du contingent métropolitain. En
attendant le début de l’instruction, une formation sommaire
préparatoire à la formation commune de base et orientée
essentiellement sur l’éducation physique militaire, la marche,
l’armement et le tir, est dispensée. Alors que, le service
militaire des jeunes FSE d’Alger et d’Oran âgés
de 19 ans transférés en métropole ou en Allemagne
commence, le plan Simoun s’achève.
Une incorporation autoritaire
Une incorporation anticipée fructueuse
26.Ainsi que
l’atteste la presse, les recrues sont arrivées à destination
aux dates prévues, sans retard. La Dépêche d’Algérie
datée du 8 juin titre : « 400 jeunes algérois "mobilisés
anticipés" ont "rejoint". Ils seront acheminés
aujourd’hui sur la métropole et surtout en Allemagne. »
36 Le bilan numérique effectué par le général
Michel Fourquet semble satisfaisant. Ainsi, pour le Grand Alger, sur 2
672 jeunes européens convoqués : 1 428 se sont présentés,
soit un pourcentage de 53,4 %. Tandis que pour la ville d’Oran, sur
1 350 FSE convoqués : 1 002 se sont présentés, soit
74,2 %. Par conséquent, au total, pour les opérations Simoun
I et Simoun II sur 4 022 recrues convoquées, 2 430 se sont effectivement
présentées, soit 60,7 %, dont 50 furent déclarés
inaptes. 2 313 au total furent incorporés en métropole,
tandis que 67 jeunes européens d’Oran furent dirigés
vers Mers el-Kébir 37. L’étude des statistiques ainsi
que le ton allègre des autorités militaires permettent d’observer
que leurs espérances ont été comblées.
36 La Dépêche d’Algérie, 8 juin
1962, p. 1.
37 SHD/GR, 1 H 1385, 2 juillet 1962.
38 Nous avons effectué le calcul suivant : 2 313 (recrues incorporées
en métropole) + 67 (recrues dir(...)
39 SHD/GR, 1 H 1385, 2 juin 1962.
40 Témoignage de monsieur René Mancho.
27. Cependant,
il faut nuancer la réussite du plan Simoun. En effet, à
l’origine, les autorités militaires comptaient envoyer 6 000
jeunes outre-mer donc un nombre beaucoup plus important que le résultat
obtenu, soit 2 380 38. De plus, le graphique proposé par le général
Michel Fourquet, démontre qu’aucune catégorie de jeunes
ne s’est présentée en totalité. Nombreux sont
les FSE qui ne sont pas venus spontanément le jour de leur convocation
aux centres d’instruction. La preuve étant que, normalement
le plan Simoun I, concernant la ville d’Alger, devait s’échelonner
du 7 au 16 juin et le plan Simoun II, visant la ville d’Oran, devait
s’étendre du 7 au 13 juin 39. Or, plusieurs recrues ont été
mobilisées après le 16 juin, avec quelques jours de retard,
comme un témoin envoyé en métropole, le 21 juin 40.
28.En
réalité, la satisfaction des autorités militaires
peut être, en partie, expliquée par la situation même
des deux villes concernées par l’appel anticipé. Les
jeunes FSE mobilisés demeurent loin des attentats de l’OAS.
Effectivement, le 7 juin, premier jour du plan Simoun, correspond au pont
culminant de la stratégie de la « terre brûlée
» de l’OAS. À Alger, la Bibliothèque nationale
est incendiée, dix écoles sont plastiquées de même
que le marché ouvert de Bab el-Oued entre autres. À Oran,
ce sont la mairie, la bibliothèque municipale et trois écoles
qui sont les cibles d’attentats de l’OAS. C’est pourquoi,
les autorités militaires affirment que les appelés du plan
Simoun ont été envoyés loin de ces deux villes avec
succès. Certes, aucun incident n’a été noté.
Le bon fonctionnement du transfert des jeunes FSE outre-mer est dû
au personnel dont l’attitude est louée par le chef du centre
de rassemblement d’Alger, notamment. Il était indispensable
que les cadres se présentent d’une façon parfaite devant
les jeunes recrues. Un devoir dûment imposé aux autorités
militaires et qui a permis la concrétisation, sans problème
majeur, du plan Simoun.
41 SHD/GR, 1 H 1385, 7 juin 1962.
42 SHD/GR, 1 H 1385, 22 juin 1962.
29. Finalement,
seules quelques difficultés sont à noter. D’une part,
une modification du plan de transport. En effet, pour permettre une meilleure
répartition des recrues entre les régions militaires de
métropole, le lieu de débarquement des jeunes recrues d’Alger
a été en partie modifié. Il reste sans changement
du 7 au 13 juin inclus. En revanche, les recrues convoquées à
partir du 14 juin ont débarqué à l’aérodrome
militaire d’Istres, où elles ont été réparties
entre les 5e, 6e, 7e, 8e, et 9e régions militaires 41. Par ailleurs,
des dépenses supplémentaires, relatives à l’alimentation,
sont signalées 42. Hormis ces deux faits, le transfert des jeunes
européens s’est déroulé correctement. Cependant,
l’adhésion était obligatoire et revêtait un caractère
grandement autoritaire, ce qui permet de nuancer les propos des autorités
au sujet du comportement des jeunes Européens.
Une mobilisation obligatoire
30. Une grande
pression a été exercée par le gouvernement et les
autorités militaires françaises. Les jeunes FSE, qui n’avaient
pas été appelés, devaient se présenter sous
peine d’être hors-la-loi. Dans la même logique, les autorités
militaires se sont engagées à transférer les recrues
qui ne pourraient guère se rendre, faute de moyen de transport,
au centre de rassemblement. Les jeunes FSE devaient se présenter
au district de transit d’où ils ont été acheminés
aux camps du Lido, pour Alger et d’Eckmühl pour Oran. L’accueil
et le transport des appelés venant dans ces conditions au district
de transit demeuraient à la charge de l’officier supérieur,
chef du centre de rassemblement des recrues 43. Une initiative qui témoigne
non seulement de la rigoureuse organisation de l’opération
mais aussi de l’urgence de sa réalisation.
43 SHD/GR, 1 H 2709, 2 juin 1962.
44 SHD/GR, 1 H 1385, 6 juin 1962.
31. Par ailleurs,
le caractère autoritaire du plan Simoun s’avère incontestable
car les jeunes recrues obligées de se présenter sont escortées
par des militaires chargés d’empêcher toute rébellion.
En effet, le général commandant la zone d’Alger Sahel
a été chargé d’assurer la protection contre
toute menée subversive susceptible de troubler le déroulement
des opérations d’appel, en particulier aux abords du district
de transit d’Alger et du camp du Lido, ainsi que pendant le transport
des recrues entre ces deux points et lors de leur déplacement vers
l’aéroport d’embarquement. Concrètement, ces décisions
se traduisent par la présence d’une patrouille blindée
pour deux camions au maximum et d’un peloton blindé au-delà
de deux camions 44.
45 Cros (V.), Le Temps de la violence, Paris, Presses
de la Cité, p. 207.
46 Katz (J.), L’honneur d’un général, Oran 1962,
Paris, L’Harmattan,p. 238-246.
47 Journal officiel de la République française, 18 mai 1962,
p. 4869-4870.
32.Enfin,
les autorités militaires multiplient les fouilles des jeunes FSE
habitant Alger et Oran, déjà importantes au mois de mai.
En effet, d’une part, le préfet de police d’Alger, Vitalis
Cros, affirme que dans le seul mois de mai, il eut 472 arrestations de
tueurs ou de plastiqueurs et plus de 30 000 armes saisies 45. D’autre
part, le général du corps d’armée d’Oran,
Joseph Katz, note que du 1er au 13 mai, 1 500 personnes et 300 véhicules
ont été contrôlés, 500 personnes appréhendées,
214 arrêtées. Tandis que du 15 au 25 mai, plus de 10 000
personnes et plus de 300 véhicules dans les différents quartiers
de la ville européenne ont été contrôlés
ainsi que 300 personnes arrêtées 46. Aux prémices
du mois de juin, l’objectif des autorités militaires est de
retrouver les éventuels retardataires ou déserteurs. Néanmoins,
le caractère autoritaire du plan s’exprime, surtout, en Algérie.
Selon les autorités françaises, le plus important étant
que les jeunes FSE demeurent outre-mer. En effet, nombre d’entre
eux ont déserté à leur arrivée en métropole.
En outre, les jeunes FSE sont libérés à partir du
mois d’août. Le troisième article de l’ordonnance
stipulait que : « Lorsque les circonstances le permettront, les
jeunes gens titulaires d’un sursis qui auront été incorporés
en application des articles 1er et 2e ci-dessus pourront bénéficier,
dans des conditions déterminées par décret, d’une
suspension de service afin de reprendre leurs études. » 47
48 Ibid.,7 août 1962, p. 7818.
49 Ibid., 1er juillet 1962, p. 6410.
33.L’ordonnance
no 62-908 du 4 août « relative aux obligations militaires
des jeunes gens de statut civil de droit commun en Algérie »
48 est destinée à appliquer cet article. Elle démontre,
de nouveau, sans ambages que le plan Simoun était un prétexte,
temporaire, destiné à éloigner la jeunesse FSE de
l’action de l’OAS en Algérie. Paradoxalement, à
Alger dans une ville vidée de sa jeunesse, une session de rattrapage
était proposée aux étudiants. Le décret du
30 juin, émis par le ministre de l’Éducation nationale
Pierre Sudreau, stipulait l’organisation d’une session spéciale
d’examens au début du mois de novembre 49. À cette
date, le gouvernement français pensait probablement qu’après
le référendum les jeunes appelés anticipés,
minorité européenne au sein du pays nouvellement indépendant,
pourraient terminer leurs études en Algérie. Néanmoins,
le plan Simoun devint pour de nombreux appelés anticipés
le symbole d’un non-retour.
Un symbole du non-retour ?
34.Plusieurs
jeunes hommes ne sont, effectivement, pas retournés en Algérie,
leur terre natale, depuis leur transfert outre-mer. Ainsi en témoigne
le poème d’un appelé anticipé : « Ce triste
21 juin 1962, le soleil plombe mais tout est flou, mes yeux s’embrument,
les larmes coulent et je ne peux pas lutter. À travers les brumes
de ma vue, là-bas Oran n’est plus qu’une tache floue.
Oran, Oran de ma jeunesse. » 50 Le plan Simoun est donc à
corréler à l’exode des Européens. Cet appel
anticipé est donc devenu un exil anticipé, forcé,
dans un lieu souvent inconnu. En effet, les jeunes FSE ont été
déracinés, leurs familles ont été disloquées.
Ils tentent de retrouver leurs proches dont ils n’ont plus de nouvelles
: « Le 14 août 1962 tout le personnel au grand complet fut
réuni tôt le matin dans l’enceinte majestueuse du 54e
RA. Notre chef de corps nous annonça alors, sans rire, que nous
pouvions si nous désirions rentrer dans nos foyers. Quels foyers
? La plupart d’entre nous n’avait aucune nouvelle de notre famille
», affirme un témoin51. Ce dernier, à l’image
de plusieurs jeunes, préféra terminer son service militaire
avant de rejoindre sa famille dont il réussit finalement à
connaître la localisation : « Un échange assez compliqué
m’avait rassuré sur le sort de ma mère et ma grand-mère
qui avaient été hébergées à Béziers
(...). Ils vivaient, serrés (…) mais sains et saufs. »
52 Afin de pallier l’arrivée des rapatriés, dont la
plupart n’a pas de toit, ni de ressources, des mesures d’accueil
sont mises en œuvre.
50 Témoignage de monsieur René Mancho.
51 Témoignage de monsieur Ange Gilbert Caramante.
52 Ibid.
35.La création
d’un secrétariat d’État aux Rapatriés,
le 24 août 1961, confié à Robert Boulin, est destinée
à conduire les opérations de rapatriement. Une allocation
mensuelle de subsistance est accordée pour un an aux rapatriés,
en attendant leur reclassement professionnel. En 1967, la catégorie
« rapatriés » disparaît des statistiques de demandeurs
d’emplois, ce qui révèle leur intégration économique.
Les plus jeunes recrues concernées par le plan Simoun, âgées
de 19 ans en 1962, ont à cette date 24 ans.
53 Pieds noirs magazine, op.cit., p. 32-33.
36. Subsistent
encore les blessures d’ordre psychologique et mémoriel, pour
ces anciennes recrues dont on tait l’appel anticipé. Le témoignage
d’un appelé, un sursitaire âgé de 20 ans, dont
le sursis fut résilié, est empreint d’amertume : «
Alors, question : combien de jeunes gens ont été touchés
par ce qu’il faut appeler une rafle ? Et pourquoi les historiens
sont si peu bavards à ce sujet ? » 53 Cette réflexion
pose le problème constant de la mémoire dans la thématique
de la guerre d’Algérie, une guerre qui n’a été
reconnue que très récemment. De fait, ce n’est que
le 10 juin 1999 que l’Assemblée nationale adopte une loi qui
substitue l’expression de « guerre d’Algérie »à
celle« d’opérations de maintien de l’ordre ».
Notes
1 Libération, 12-13 mai 1962, p. 3.
2 Le Monde, 24 mai 1962, p. 5.
3 Nous reprenons la thèse du journaliste Jean-Claude
Vajou, Combat, 12-13 mai 1962, p. 1.
4 Les quatre autres mesures de l’« opération
Fouchet »annoncent, notamment, la présence de gendarmes mobiles
dans les commissariats, le recrutement de policiers musulmans «
auxiliaires temporaires occasionnels » au nombre de 1 200 à
1 500, ainsi que la révocation de fonctionnaires, l’expulsion
de 50 Algérois et l’internement de personnalités oranaises.
Elles sont destinées à miner de l’intérieur
l’OAS en lui ôtant une partie de ses recrues, ralliées
de gré ou de force. Libération, 13 mai 1962, p. 3.
5 Ce décret concerne la composition, les dates
d’appel et les obligations d’activité des premier et
deuxième contingents de 1962. Journal officiel de la République
française, 3 décembre 1961, p. 1110.
6 Verdès-Leroux (J.), Les Français d’Algérie
de 1830 à aujourd’hui. Une page d’histoire déchirée,
Paris, Fayard, p. 363.
7 Monneret (J.), La phase finale de la guerre d’Algérie,
Paris, L’Harmattan, p. 19.
8 Ibid., p. 118.
9 Duranton-Cabrol (A. M.), Le Temps de l’OAS, Bruxelles,
Éditions Complexe, p. 216.
10 La Dépêche d’Algérie, 17 mai
1962, p. 1.
11 Journal officiel de la République française,
18 mai 1962, p. 4869-4870.
12 Témoignage de monsieur René Mancho. Ceci
est un extrait de son blog : http://oran1954.over-blog.com
13 Témoignage de monsieur Bernard Venis. Ceci est
un extrait de son blog : www.alger-roi.net
14 Le Monde, 27-28 mai 1962, p. 3.
15 SHD/GR, 1 H 1736, dossier 2, émission pirate
de l’OAS, diffusée entre 19h40 et 19h58, le 22 mai 1962.
16 SHD/GR, 1 H 1736, dossier 2, émission pirate
de l’OAS, diffusée entre 19h56 et 20h15, le 2 juin 1962.
17 Journal officiel de la République française,
3 juillet 1962, p. 2179.
18 Le Monde, 6 juin 1962, p. 2.
19 SHD/GR, 1 H 1385, 10 mai 1962.
20 SHD/GR, 1 H 1385, 26 mai 1962.
21 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962.
22 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962.
23 SHD/GR, 1 H 1385, 2 juin 1962.
24 Pieds-noirs magazine, n° 21, décembre 1991,
Pons (Cagnes), p. 32.
25 SHD/GR, 1 H 1385, 1er juin 1962.
26 SHD/GR, 1 H 1385, 30 mai 1962.
27 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962.
28 Le Monde, 23 mai 1962, p. 7.
29 Témoignage de monsieur Bernard Venis, op.cit.
30 SHD/GR, 1 H 1385, 27 juin 1962.
31 SHD/GR, 1 H 2709, 19 juin 1962.
32 SHD/GR, 1 H 2709, 19 juin 1962.
33 Ibid., 27 juin 1962.
34 SHD/GR, 1 H 1385, 30 mai 1962.
35 Témoignage de monsieur Gilbert-Ange Caramante
extrait du site suivant : www.cerclealgerianiste.asso.fr.
36 La Dépêche d’Algérie, 8 juin
1962, p. 1.
37 SHD/GR, 1 H 1385, 2 juillet 1962.
38 Nous avons effectué le calcul suivant : 2 313
(recrues incorporées en métropole) + 67 (recrues dirigées
vers Mers el-Kébir) = 2 380 recrues.
39 SHD/GR, 1 H 1385, 2 juin 1962.
40 Témoignage de monsieur René Mancho.
41 SHD/GR, 1 H 1385, 7 juin 1962.
42 SHD/GR, 1 H 1385, 22 juin 1962.
43 SHD/GR, 1 H 2709, 2 juin 1962.
44 SHD/GR, 1 H 1385, 6 juin 1962.
45 Cros (V.), Le Temps de la violence, Paris, Presses
de la Cité, p. 207.
46 Katz (J.), L’honneur d’un général,
Oran 1962, Paris, L’Harmattan,p. 238-246.
47 Journal officiel de la République française,
18 mai 1962, p. 4869-4870.
48 Ibid.,7 août 1962, p. 7818.
49 Ibid., 1er juillet 1962, p. 6410.
50 Témoignage de monsieur René Mancho.
51 Témoignage de monsieur Ange Gilbert Caramante.
52 Ibid.
53 Pieds noirs magazine, op.cit., p. 32-33.
Pour citer cet article
Référence électronique
Soraya Laribi , « Le plan Simoun ou la mobilisation anticipée
des conscrits européens d’Algérie en juin 1962 »,
Revue historique des armées, 269 | 2012, [En ligne], mis en ligne
le 23 novembre 2012. URL : http://rha.revues.org/index7584.html. Consulté
le 07 décembre 2012.
Auteur
Soraya Laribi
Actuellement professeur certifiée, elle prépare un doctorat
à l’université Paris IV-Sorbonne sous la direction
du professeur Jacques Frémeaux. Son mémoire de master 1,
portant sur le plan Simoun, a remporté le « Prix universitaire
du Cercle algérianiste » en 2009.
Articles du même auteur
Le plan Carrousel [Texte intégral]
Mesures à prendre en cas de rupture du cessez-le-feu par l’ALN
dans le Nord-Constantinois (juin-juillet 1962)
Paru dans Revue historique des armées, 268 | 2012
Droits d'auteur
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